- ZOROASTRISME
- ZOROASTRISMELa religion de Zoroastre (forme grecque de Zarathuštra) fut celle de l’Iran avant qu’il ne fût islamisé par la conquête arabe. On la nomme aussi «mazdéisme», du nom de son dieu suprême, Ahura Mazd h (le Seigneur Sage), ou «parsisme», du nom des Parsis (Persans) qui, vers le Xe siècle, pour échapper à la domination musulmane, émigrèrent de Perse vers l’Inde du Nord-Ouest où ils forment encore une communauté solide et prospère. Ce fut par elle que la langue et les textes de l’antique religion de l’Iran parvinrent à la science européenne, grâce à l’enquête de A. H. Anquetil-Duperron (1771). C’est donc une religion vivante, dont on peut suivre l’histoire des croyances dans ses livres anciens, et le culte dans sa pratique actuelle, fort traditionnelle, tant en Inde qu’en Iran. Les témoignages anciens portés de l’extérieur sont souvent difficiles à interpréter et à concilier avec les textes zoroastriens, dont les principaux sont notoirement obscurs. Il en résulte parmi les savants des divergences d’opinion considérables sur presque toutes les questions importantes: historicité, date et habitat de Zarathuštra, sens obvie des textes fondamentaux sur la doctrine et le culte. Cette absence quasi totale de consensus est un cas unique dans l’histoire des religions. C’est une situation que cet exposé n’entend pas masquer: son éclectisme même laissera subsister les incertitudes.Pour être en mesure de restituer la personnalité historique de Zarathuštra, force est d’abord, on le verra, de dégager le genre littéraire, la doctrine et le terrain d’origine des écrits qui émanent ou qui parlent de lui.1. Les G size=5th size=5De toute la littérature avestique, les G th sont les textes les mieux assurés, en raison de leur dialecte, et les plus sacrés: provenant, selon la tradition, de Zarathuštra lui-même, et lourdes d’une autorité incontestée, elles sont actuellement insérées dans le Yasna , rituel du sacrifice du haoma , dont elles constituent les chapitres (ha ) 28 à 34, 43 à 51 et 53. À vrai dire, ces divisions découpent le texte de cinq G th : Ahunavaiti (Y. 28-34), Uštavaiti (Y. 43-46), Spenta Mainyu (Y. 47-50), Vohuxšathra (Y. 51) et Vahist 拏išti (Y. 53). Entre la première et la deuxième se place une G th des Sept Chapitres , qui est un texte postérieur et non métrique. Leur langue, proche du védique, est masquée par une graphie qui, sans doute pour des raisons musicales, allonge toutes les finales, confondant ainsi les désinences casuelles et accroissant l’obscurité d’un texte déjà concis et allusif.Au faîte du monde divin que chantent ces poèmes, le dieu suprême créateur et promoteur de l’ordre cosmique et moral, Ahura Mazd h, le Seigneur Sage, vers qui montent la prière et l’adoration, règne sur plusieurs catégories divines. Ce sont d’abord les Ameša Spenta, Immortels Bénéfiques: Vohu Man 拏, la Bonne Pensée; Aaa Vahišta, la Meilleure Rectitude; Xšathra Varya, l’Empire Désirable; Spenta Armaiti, la Bénéfique Pensée Parfaite; enfin, Haurvat t et Ameret t, Intégrité et Non-Mort. Les G th parlent de rapports de parenté entre Ahura Mazd h et certains de ces six, et la tradition fera d’eux les premières des créatures, créatures qui sont néanmoins les divinités adorables qualifiées d’une épithète qui équivaut au nom de dieu, yazata . Ces divinités, dont le principe est un dieu suprême et qui, sans être créatrices, habitent avec lui, seront présentées comme présidant chacune à un domaine de la nature, leur «fonction» étant dans l’ensemble moins marquée dans les G th . Mais le panthéon védique permet des rapprochements qui éclairent la préhistoire religieuse de l’Iran (G. Dumézil) et précisent le caractère de ces dieux où certains auteurs n’ont vu que des «aspects» d’Ahura Mazd h, alors qu’un texte (Y. 31, 4) les désigne clairement comme «Seigneurs». Non moins éminent qu’eux est Spenta Mainyu, l’Esprit Bénéfique, tout proche de Vohu Manah et, avec lui, d’Ahura Mazd h, qui comptera, le premier, un adversaire spécifique, Angra Mainyu, le Mauvais Esprit (Y. 45, 2). Ils s’opposent si radicalement, dès l’origine, comme principes du bien et du mal que l’on voit, à juste titre, dans ce couple le germe qui devait doubler le monothéisme mazdéen d’un dualisme très caractéristique; Angra Mainyu sera plus connu sous son nom moyen-iranien d’Ahriman, adversaire prééternel d’Ohrmazd (Ahura Mazd h), auquel s’est identifié, éminemment, Spenta Mainyu. Les deux Esprits sont en effet jumeaux (Y. 33, 3), ce qui donnera lieu à une théogonie secondairement moniste, que le mazdéisme «orthodoxe» ne cessera de rejeter. Dans les G th et les autres écrits avestiques, on ne s’explique pas davantage sur l’origine de cet esprit pervers primordial, jumelé par sa nature et antagoniste par son vouloir et ses choix. Toute la théologie postérieure admettra comme une donnée première son autonomie et son éternité, sa primauté parmi les forces du mal et son infériorité par rapport aux forces du bien; mais son statut, à partir de son mauvais choix, n’est jamais décrit en termes de «chute», pas plus que la victoire remportée sur lui à la fin des temps ne l’entraînera dans une apocatastase.2. Les YaštÀ côté de ces divinités majeures, les G th en mentionnent quelques-unes, dont les noms sont également abstraits, Sraoša (Discipline) et Aši (Fortune, Récompense) qui ne joueront que plus tard un rôle important. Mais elles ne disent rien de ce vaste panthéon invoqué à chaque pas dans tous les autres textes avestiques, notamment dans les Yašt , où les dieux sont décrits de manière concrète à l’intérieur d’un ensemble de mythes, où les noms des héros et des dieux nous replacent, pour la plupart, dans la mythologie védique. Ces textes ne sont pas des fossiles; ils sont largement exploités par la liturgie, tant quotidienne que solennelle – les Yašt sont, en effet, répartis sur les trente jours du mois. Cette omission singulière, le contraste qu’elle souligne entre les G th et l’Avesta dit récent posent d’emblée, sur le terrain de la théologie, la question de la situation du zoroastrisme g thique dans la religion de l’Iran et la question du rôle de Zarathuštra dans ce qui apparaît comme une mutation.C’est que, outre le silence jeté sur les divinités des Yašt, qui sont très certainement celles du plus vieux panthéon indo-iranien, donc antérieur à l’auteur des G th , on pourrait voir une condamnation portée et contre le vieux culte indo-iranien du haoma (védique: soma ), et contre tout sacrifice sanglant (Y. 32, 14; 48, 10), notamment celui du bovin (bœuf ou vache). Le haoma n’est pas nommé explicitement, mais son épithète ordinaire de duraoša , «qui éloigne la mort», est transparente. À ce rejet s’ajoutent des invectives contre les «mauvais souverains», les déprédateurs, tous qualifiés de «menteurs», c’est-à-dire d’adversaires d’aša , qui sont au premier chef les ennemis du bovin dont l’«âme» (Y. 29) se lamentait devant Ahura Mazd h d’avoir à être exposée à leur violence et réclamait un défenseur. Or celui-ci leur est accordé en la personne de Zarathuštra, ce qui emporte l’assentiment du bœuf à se laisser créer.3. Réforme zoroastrienne?La répudiation de toute pratique orgiastique et sanglante semblait donc se combiner avec celle du panthéon ancien comportant des sacrifices animaux, dont les textes ne font pas mystère; l’action de Zarathuštra se présentait ainsi comme une revendication des éléments de paix et de conversion agraire. Cette synthèse, satisfaisante au premier abord et soutenue par de nombreux savants, se heurte à des objections qu’il est malaisé de tourner. Il faut avant tout expliquer comment il se fait que des conceptions si nettement contradictoires voisinent dans les mêmes Écritures. Doit-on croire à une rentrée en force de la théologie et de la liturgie antiques que le réformateur avait voulu éliminer? Pourquoi ce retour de flamme n’avait-il pas, à son tour, éliminé les textes g thiques gênants qui, tout au contraire, conservent une place centrale et toute leur autorité? Serait-ce qu’ils n’étaient plus compris? On l’admettra difficilement. Plus sensible à cette difficulté est la théorie qui voit dans les G th l’expression d’une prédication laborieuse, d’une tentative de réforme avortée qui contraignit le novateur lui-même à proposer une solution de compromis en réintégrant, moyennant des accommodements, certains des dieux antiques ainsi que leur accompagnement rituel (H. S. Nyberg). Sans doute les G th attestent-elles l’opposition que devait rencontrer Zarathuštra, mais il est difficile d’y trouver les traces du revirement que l’on suppose. Force est donc de reprendre à la base l’interprétation des textes qui nous avaient paru clairs.Ce que Zarathuštra combat et rejette, ce n’est pas nécessairement le sacrifice sanglant en général, mais son déroulement violent, cruel, désordonné, la déprédation sauvage, privée de toute mesure rituelle, peut-être même seulement la violence à l’encontre du bovin, l’animal protégé par excellence dans le monde indien. Et peut-être n’est-ce pas le haoma qui est qualifié d’ordure et de liqueur enivrante, mais bien les ersatz qu’on lui substituait.La condamnation des perversions du culte suppose l’approbation du vrai culte, sans qu’il soit besoin d’y insister. En revanche, l’insistance se marque sur l’excellence des dieux les plus proches d’Ahura Mazd h, dont les noms abstraits laissent entendre peut-être qu’ils émanent d’une élaboration qui devait enrichir le panthéon traditionnel iranien. Résultat d’une substitution (G. Dumézil) ou d’une élaboration (M. Molé), la formation du groupe des Ameša Spenta demeure obscure, mais ne soulève pas de contradiction insoluble. Ce qui ressort du moins clairement de cette théologie, c’est la marque de l’opposition morale (et, par voie de conséquence, rituelle), dans ce monde et au-delà, qui dérive de la conception centrale et spiritualisée des G th jusque sur les zones mythiques dont le caractère «naturiste» nous est connu par leurs équivalents védiques. Question d’accent sans doute, car il n’est pas évident que les mythes indo-iraniens ne sont pas soutenus par une véritable éthique. De même, il serait trop simple de considérer comme un renversement complet le fait que les G th désignent par da 勒va des êtres mauvais de la zone des hommes plutôt que des dieux, alors que deva , en védique, ne désigne que ceux-ci; car l’asura védique n’est pas toujours un dieu hostile. Toujours est-il que la tendance au dualisme moral ira en s’affermissant en Iran, au point que s’établiront deux vocabulaires des êtres et des actions, desservant chacun exclusivement le domaine du bien ou celui du mal. Mais le principe du mal, loin d’incarner la religion antique, est le Mauvais Esprit des G th ; et, même plus tard, les dieux indo-iraniens, Indra entre autres, ne joueront parmi les démons qu’un rôle effacé et insignifiant. Autrement dit, la «réforme» zoroastrienne, quelle qu’ait été sa réalité, ne coïncide pas avec le dualisme, caractéristique du zoroastrisme.4. EschatologieDès les G th , l’eschatologie comporte un passage discriminatoire, le pont Cinvat, aboutissant après la mort à un enfer ou à un paradis, séjour des bienheureux et d’Ahura Mazd h lui-même. La résurrection est promise dans le nom même du sixième des Bénéfiques Immortels. Ameretatat, la non-mortalité par excellence. Deux notions, dont la première est à peine perceptible dans les G th , enrichissent et caractérisent cette eschatologie: celle des Fravarti, «doubles» tutélaires des êtres humains, qui se confondent parfois avec les âmes des morts. Une fête annuelle en leur honneur atteste la fidélité que leur vouent les vivants, et le Yašt 13 qui leur est consacré renferme des listes de héros disparus dignes de commémoration.L’autre, plus riche et plus personnelle, celle de da 勒na (plus tard, d 勒n , puis d 稜n ), est à la fois la «religion» comme corps de croyance et l’aspect ou faculté de l’âme par où elle touche au transcendant et, à ce titre, se détache de la personnalité empirique. Un récit attesté dès l’Avesta dépeint l’âme, parvenant au paradis, accueillie par une belle jeune fille qui se révèle être l’incorporation de tout ce qu’elle a pensé, dit ou fait de bien. À l’inverse, l’âme damnée rencontre une horrible mégère qui représente tous ses méfaits. D 勒n a ensuite désigné la «Bonne» D 勒n, c’est-à-dire le zoroastrisme et ce qui, dans l’âme humaine, lui fait face. Il est fort probable que le mot arabe d 稜n , religion, vient de l’iranien plutôt que de la racine sémitique dyn , juger. On a là l’expression de la survivance de la personnalité humaine, qu’on retrouvera plus tard épanouie dans la croyance à la résurrection des corps; mais on ne saurait affirmer que ce développement soit un ajout. Le nom qui sera celui des «sauveurs», dont l’apparition scandera le rythme de l’histoire, désigne dans les G th le champion sur qui peut compter Zarathuštra, le Saošyant, dont la personnalité n’apparaît pas encore clairement, mais qui fait déjà partie de l’historiosophie zoroastrienne.5. Višt size=5spa et l’histoire de ZarathuštraPlus proprement historique est la mention faite dans les G th du personnage de Višt spa, roi qui, avec quelques autres proches, va protéger Zarathuštra. La tentation était grande de voir en lui le père de Darius l’Achéménide, ce qui aurait permis d’intégrer Zarathuštra dans un contexte historique daté et localisé, à quoi ont cédé et cèdent encore de nombreux savants qui, sans soutenir que l’origine de Zarathuštra soit à chercher en Iran occidental (la langue, la géographie de l’Avesta l’excluent), s’efforcent, à bon droit, de déterminer à quel moment cet Occident a adopté le zoroastrisme, et sous quelle impulsion. Car, si Višt spa est converti à la «nouvelle» foi, rien n’empêche, en principe, que le maître ou la doctrine soit venu d’ailleurs. Les inscriptions des Achéménides ne donnent guère d’indications univoques sur le contenu de la religion alors dominante, à l’exception du nom d’Auramazda (en un mot), et moins encore sur la religion à laquelle celle-ci aurait succédé. Les dieux y sont dénommés baga , non yazata comme dans l’Avesta, et ce n’est qu’à partir d’Artaxerxès II qu’apparaissent les noms de Mithra et d’Anahita. Mais il n’est pas exclu que les quelques notions éthiques qui y sont mises en valeur s’accordent avec la morale zoroastrienne qui serait présentée dans une version royale. Pour s’avancer davantage, il faudrait en savoir plus sur la religion extrazoroastrienne des Iraniens. Les campagnes entreprises par Darius contre des rivaux et des usurpateurs ne rappellent en rien les guerres de religion que la légende prête à Višt spa. Mais, quelle que soit l’incertitude de son temps et de son lignage, il n’y a pas lieu de refuser une certaine historicité à ce personnage dont la légende a surtout retenu sa «conversion», qu’elle attribue aux miracles cautionnant la prédication de Zarathuštra, et son rôle quasi archétypal de fidèle et de champion de la religion, rapport qui se retrouvera, tout au long de l’histoire de l’Iran préislamique, entre royauté et religion. Cette légende fait partie d’une vie de Zarathuštra dont il ne nous reste qu’un rifacimento pehlevi d’un texte avestique, signalant surtout sa naissance et son enfance merveilleuses, ses entretiens avec les dieux, sa prédication, les persécutions qu’il endure. À sa mort, sa semence recueillie et conservée au fond d’un lac fécondera, au cours des siècles, trois vierges qui donneront naissance à trois saošyant présidant à des ères de rénovation cyclique: la dernière inaugurera une transfiguration définitive, l’apocatastase et la résurrection des corps.6. Le culteLa persistance du culte zoroastrien offre des données plus sûres. Le Yasna est tout entier consacré au sacrifice du haoma et les rubriques, notées en pehlevi, sont, dans l’ensemble et avec des variantes assez légères, encore en vigueur aujourd’hui. Le pressurage de tiges de haoma (sanskrit: soma ) fournit une liqueur qui est consommée dans un mélange de lait et d’eau en offrande aux dieux et aux éléments du feu et de l’eau. Y sont associées des offrandes de lait, d’eau et d’un peu de beurre, reste d’une offrande animale attestée dans les textes. Avant d’assumer les proportions considérables dont témoignent les vieux rituels védiques, l’agnistoma indien était peut-être aussi simple. Les textes avestiques incorporent des éléments qui n’étaient sans doute pas primitifs: ainsi le Yasna haptahanti , le Hom Yašt et le Sroš Yašt . Les «invitations» initiales à tous les dieux permettent d’embrasser le panthéon le plus vaste, et l’office est constamment rythmé par les grandes prières sacrées de la religion, celles qu’on récite en toute occasion en les répétant plusieurs fois.La place occupée par le feu est plus importante, et de beaucoup, que les textes du Yasna ne le laissent supposer. Dans les G th , le Feu, fils d’Ahura Mazd h, n’est nommé que deux fois (Y. 31, 19 et 51, 9), dans le contexte d’un jugement eschatologique qui annonce et la pratique de l’ordalie judiciaire et la transfiguration eschatologique du monde. Y. 17 énumère les feux selon leur origine naturelle, y comprenant celui qui entretient la vie, celui de la foudre céleste et celui qui brûle au paradis suprême (garotman ). Une autre classification, non moins vivante, rattache chacun des feux à une classe sociale: prêtres, guerriers et paysans. On a ainsi le Feu Atur Farnbag (de Farr, équivalent de xvarenah , le charisme divin), qui revient éminemment aux prêtres; le Feu Gušn sp («au cheval mâle»), feu des guerriers et des rois; le Feu Burzin Mihr, qui contient le nom de Mithra et qui protège les agriculteurs. Dans les textes pehlevis très postérieurs, les traditions mythiques sur la localisation de leurs sanctuaires principaux, qui se rattache à l’Avesta, se combinent avec des données réelles de l’époque sassanide, tout en reflétant un état ancien de la géographie religieuse qui renvoie à l’Iran oriental.Une troisième classification, de caractère cultuel, se fonde sur l’importance inégale des feux. Le Feu Varhar m, roi des feux, exige une longue préparation qui commence par la «collecte» de seize feux d’usage courant: feux d’un prêtre, d’un roi, mais aussi d’un foulon, d’un maçon, d’autres artisans et, chez les Parsis de l’Inde, d’une incinération de cadavre. On les «purifie», c’est-à-dire qu’on ne retient que la dernière des ignitions successives opérées à distance sur des matières inflammables (il peut y en avoir jusqu’à quatre-vingt-onze); on les consacre par les offices du Yasna et du Visprat; on les installe enfin dans un temple qui doit lui-même être consacré. Ce rituel, fort long, est utilisé pour des feux majeurs, uniques dans une ville ou une région donnée. Le feu de deuxième catégorie, Ataš Adur, n’a que quatre composantes et peut en principe être établi dans toute bourgade où résident dix familles zoroastriennes. Enfin, un troisième feu est celui que l’on consacre à l’occasion de l’installation d’un temple. La propriété d’un feu par une famille entraînait des obligations, notamment en droit successoral, dont on connaît le détail pour l’époque sassanide. La garde de certains feux pouvait constituer une charge honorifique, une sorte de bénéfice dont la collation revenait au roi.Si l’attestation récente de ces pratiques n’est pas à négliger pour la reconstitution des pratiques anciennes, il se peut bien qu’il en aille de même des sacrifices sanglants: la grande inscription rupestre de Sh hpuhr Ier institue, à la suite de ses victoires, des feux Vahraram en l’honneur des grands et de la famille royale, qui doivent, l’année durant, être alimentés par des sacrifices animaux et végétaux dont le détail est spécifié. Il semble bien invraisemblable que ces rites aient pu constituer une innovation.Exception faite de Persépolis, il ne nous reste quasi rien de l’architecture religieuse de l’Iran ancien, sinon, datant pour la plupart de l’époque sassanide, de très nombreux vestiges de temples du feu: ce sont de petits édifices comportant une salle où brûlait le feu et où, sans doute, on procédait au pressurage du haoma. Ils étaient couverts d’une coupole reposant sur une structure à quatre pieds; les plus importants étaient sans doute flanqués de salles annexes (où il n’est pas interdit de voir des «écoles de mages», de même que, plus tard, la mosquée musulmane sera aussi le siège d’une madrasseh), ainsi que de dépôts d’archives officielles, comme l’était probablement la tour dite Ka‘ba-ye Zartušt à Naqš-e Rustam. Dans les ruines de temples qui ont été fouillés se trouvent, en effet, de nombreuses bulles ayant servi à sceller des documents.Les ministres du culte, qui depuis de longs siècles ne sont plus que deux, étaient à l’origine au nombre de sept, lesquels peuvent se comparer à ceux du culte védique. Leur initiation et leur ordination comportaient des degrés marqués par des cérémonies d’investiture. Leurs fonctions embrassaient aussi bien le culte sacrificiel que les purifications auxquelles ils étaient tenus avant d’être habilités à les administrer aux autres; mais ne sont ordonnés que les membres des familles sacerdotales. Si leur nombre a notablement diminué au cours des siècles, ils restent dépositaires des usages cultuels, alors qu’à l’époque sassanide ils exerçaient également le pouvoir judiciaire.La coutume zoroastrienne qui, de tout temps, a excité le plus de curiosité est celle qui concerne l’exposition des cadavres aux oiseaux de proie dans des tours à ciel ouvert appelées dakhma . Ils y sont placés sur des dalles de pierre disposées en rayon autour d’une fosse qui recueillera les os, une fois le corps dépecé. On connaît aussi des ossuaires creusés horizontalement à même le roc, qui datent probablement du temps où la construction des dakhmas était devenue difficile ou restreinte. Le rituel du transport était minutieux et visait à préserver le milieu ambiant de tout contact avec l’impureté d’une charogne: on est là tout à l’opposé de la pratique de l’incinération, courante dans l’Inde antique et moderne, qui constitue pour le zoroastrisme un péché majeur comme violation de la pureté des éléments, aussi bien le feu que la terre. Mais il n’est pas certain que cette notion soit contredite par l’usage des tombeaux creusés dans le roc et inaccessibles, tels qu’ils existaient chez les grands rois achéménides; et l’incertitude où nous sommes est accrue du fait que le nom de ce lieu d’isolement et de préservation des éléments signifie proprement «combustion» (racine: dag- ). Les porteurs de cadavres, au premier chef, sont astreints à la purification majeure appelée baršnum , qui occupe une durée de neuf jours et consiste en ablutions sur tout le corps avec une eau consacrée par admixtion d’urine de bœuf ou de vache (g 拏m 勒z ). Le rite s’opère dans un espace ouvert, délimité par des sillons, à l’intérieur duquel sont creusés des trous pour l’écoulement des eaux purificatrices et disposées des pierres où peut s’asseoir le candidat, tandis que le purificateur se tient hors de l’enceinte et verse l’eau au moyen d’un gobelet maintenu par une chaîne rattachée à une canne.Prêtres du feu, du sacrifice, des purifications, les ministres du culte zoroastrien ne sont jamais désignés dans l’Avesta sous le nom de mages, que leur donnent en tout temps les auteurs grecs, plus tard les byzantins, les syriens et les arabes, majous désignant pour ceux-ci tous les zoroastriens. Dans l’Avesta, le mot, qui ne se présente qu’une fois et dans une expression composée, n’a vraisemblablement pas de sens religieux. Les plus anciens témoignages classiques laissent entendre que le mot pouvait désigner, d’une part, des prêtres, des sages, de l’autre, des «magiciens» chaldéens de moins bon renom. Toujours est-il que, dès le début de l’époque sassanide, le mot désigne clairement une catégorie sacerdotale comportant des fonctions variées et des degrés dont les noms sont certainement anciens: l’ 勒rpat , enseignant, et le magopat (mobed ), ou mag 拏mart , c’est-à-dire chef de mages et homme-mage, ou mage ordinaire.À côté de leur vénération du feu, de leurs pratiques funéraires et de leur corps sacerdotal, un élément qui contribua à l’image que se fit des zoroastriens le monde environnant est la pratique de l’endogamie incestueuse, nommée xva 勒todata , dans l’Avesta. Elle est fort clairement attestée dans les périodes postérieures, et persista jusque sous l’Islam, mais aujourd’hui elle est complètement éteinte. Il est difficile de savoir à quoi elle se rattache et quel est le sens profond de l’apologie religieuse à laquelle elle a longtemps donné lieu.7. Histoire du zoroastrismeIl est impossible de retracer l’histoire de la religion zoroastrienne depuis son origine (vers ou avant la période des Achéménides) jusqu’à la chute de l’Empire parthe.C’est avec la réorganisation et le renforcement qu’elle reçoit au début de la dynastie sassanide qu’on est en mesure de constater la persistance de la religion à travers les périodes séleucide et parthe. L’ère nouvelle, celle d’une monarchie nationale forte et centralisée, marque la fondation d’un zoroastrisme d’État, qui a les mêmes caractères que le régime civil et jouit de son appui. Les rois auraient joué un rôle décisif dans cette fondation, à en croire le rapport historique que l’on trouve au début du IVe livre du D 勒nkart , leur première tâche ayant été de recueillir et de codifier les Écritures jusque-là conservées, semble-t-il, en de rares exemplaires, dans les sanctuaires ou dans les «trésors», la tradition orale étant prédominante dans la classe sacerdotale. L’ 勒rpat Tosar (lu aussi Tansar) aurait été le principal ouvrier et sans doute l’inspirateur de ce travail, qui eut pour objet non seulement de fixer l’Avesta ancien, mais aussi de l’enrichir de données scientifiques empruntées aux mondes indien et byzantin. À cet effet, une écriture beaucoup plus précise, qui a reçu l’appellation d’écriture avestique, fut inventée à partir des écritures défectives d’origine sémitique en usage jusque-là. On se mit aussi à traduire dans la langue parlée, le moyen-perse ou pehlevi, ces vieux textes rédigés dans un dialecte oriental qu’on ne comprenait plus. Cette activité littéraire, suscitée sans doute par la présence au cœur même de l’Empire, qui était alors la Mésopotamie, de nombreux adeptes des religions du Livre (juifs et chrétiens), couronnait le développement de la vie proprement cultuelle, où le rôle exemplaire du pouvoir n’était pas moins grand.Le principal instigateur de cette politique ecclésiastique aurait été – à en croire son propre témoignage, publié par ses soins dans quatre importantes inscriptions rupestres qu’il eut soin de mettre en bonne place – le mage Kartir, qui fut une sorte de ministre des cultes de Sh hpuhr Ier à Bahr m II. Or, excepté des textes en moyen-perse et en copte qui font état de son rôle dans la persécution et l’exécution de Mani, il n’est nommé nulle part dans la littérature pehlevie ou chez les auteurs musulmans pourtant richement documentés; on peut donc penser que son action a été moins éclatante qu’il ne le donne à entendre, et qu’il a surtout marqué par une sorte de vision qu’il raconte avoir reçue afin de confirmer les fidèles dans l’existence du paradis et de l’enfer. Il assure aussi avoir usé de force pour réprimer la diffusion des religions étrangères (christianisme et religions indiennes) plus missionnaires par nature que le zoroastrisme. Les chrétiens avaient pu, en raison de leur foi, être soupçonnés de sympathie pour Byzance, l’ennemie héréditaire; mais, quand, rompant avec les Grecs et se groupant sous leurs évêques locaux, ils se mirent à tenir leurs propres synodes, on vit ceux-ci s’ouvrir sous la protection des rois iraniens. Il n’empêche que la période fut riche en controverses religieuses: contre les chrétiens de Mésopotamie et d’Arménie, mais aussi contre les zoroastriens coupables de quelque hérésie. Celles du début de la dynastie ne nous sont pas bien connues: nous savons seulement qu’une censure fut exercée et même qu’en une circonstance un docteur zoroastrien se soumit à une ordalie pour revendiquer sa foi. Vers la fin du Ve siècle, une doctrine comportant d’importantes conséquences quant au régime matrimonial (la communauté des femmes, disent les polémistes) mena à la révolution: le roi Kavad se rallia au système de Mazdak, qui ne fut abrogé qu’à l’avènement de son fils, Chosroès Ier. On connaît bien mal la pensée qui fut à l’origine de ces ébranlements sociaux.Un autre courant, que nous discernons, dès les âges les plus anciens, par les témoignages grecs et jusqu’aux époques où l’information est fournie en abondance par les auteurs syriaques et arabes, se rattache au concept de temps tel que le dessine l’Avesta. Il y est question, en effet, d’un temps illimité (Zurvan akanara ) et d’un temps souverain de longue durée (Zurvan dareg 拏 xvad tem ), ce qui laisse entendre qu’un temps cyclique s’inscrit à l’intérieur d’un temps infini. Le mythe apparaît quand le Temps devient primordial et, par là même, père du dieu créateur et de son adversaire, dont la fraternité pouvait sembler suggérée, dès les G th , par l’idée du jumelage des deux Esprits. Dans le mythe zuravaniste, ce jumelage n’est pas antérieur au choix éthique qui les oppose: le principe du mal comme tel est de la même origine que le principe du bien. Au commencement, Zurvan, être primordial, étant seul, fit des sacrifices pendant mille ans afin d’obtenir un fils: comme il se prit à douter qu’il en eût jamais un, voici qu’en récompense de ses sacrifices un bon fils, Ohrmazd, se forma dans son ventre, tandis qu’en châtiment pour son instant de doute se forma simultanément un fils pervers, Ahriman, le principe du mal. Zurvan ayant déclaré qu’il donnerait la souveraineté au premier des deux qui naîtrait, Ahriman s’empressa de devancer son frère; et Zurvan le reconnaissant comme l’adversaire mais, tenu par sa parole, lui accorda une souveraineté avant sa défaite finale. Ainsi se concilient les thèmes du dieu unique, des principes antagonistes et des âges du monde servant à épuiser le mal et à assurer la victoire du bien. Le nom de Zurvan a certainement été en honneur à l’époque sassanide; c’est lui que le manichéisme iranien a choisi pour désigner le Père des Grandeurs, réservant celui d’Ohrmazd à l’Homme Primordial; le mythe du jumelage des deux principes a dû obtenir une certaine créance en Iran, puisqu’il est répudié explicitement et avec force par les zoroastriens ainsi que par les manichéens. Néanmoins, le zurvanisme n’a pas constitué une religion établie; ce fut seulement une hérésie larvée, dont la persistance devait justifier l’acharnement de la polémique islamique.Avec la conquête arabe et la venue de l’Islam, la communauté zoroastrienne de l’Iran fut fortement ébranlée, perdant son statut de religion d’État, ses fidèles et son clergé diminuant de plus en plus et son statut en terre d’Islam devenant celui d’une minorité mal définie. Il est singulier que ce soit de cette époque que date la plus grande partie des écrits zoroastriens qui nous sont parvenus. Le principal, le D 勒nkart , est, d’une part, une sorte de résumé et de conservatoire de la littérature ancienne, et, d’autre part, une mise au point théologique du zoroastrisme, une véritable systématique du dualisme, qui ne va pas sans une vigoureuse critique de l’islam.À compter du Xe siècle, la production littéraire s’arrête. Les communautés survivent en Iran, menant une vie dure et ne participant pas à la vie publique avant le milieu du XIXe siècle. Leur fidélité à maintenir les traditions religieuses fut d’un grand secours pour leurs coreligionnaires de l’Inde, qui entretinrent avec eux un vivant commerce épistolaire, les interrogeant sur toutes matières de foi ou de pratique. Le recueil de ces responsae constitue les volumineuses Riv vat persanes. Au XIXe siècle, les Parsis de l’Inde se mirent à s’occuper de leur passé selon les méthodes de la science européenne et firent chercher en Iran ce qui restait en fait de livres anciens. Par ailleurs, ils appliquèrent leur richesse et leur influence au relèvement des zoroastriens de l’Iran. Jusqu’à la révolution de 1979, l’intérêt des élites iraniennes pour leur passé préislamique suscita la collaboration des Persans et des Parsis entre eux et avec le monde savant tout entier.• 1872; de Zoroastre♦ Hist. relig. Religion dualiste fondée par Zarathoustra et professée de nos jours par les parsis. ⇒ manichéisme, mazdéisme.Synonymes :- mazdéismezoroastrismen. m. RELIG Syn. de mazdéisme.zoroastrisme [zɔʀɔastʀism] n. m.ÉTYM. 1872; de Zoroastre.❖♦ Hist. des relig. Religion dualiste fondée par Zarathoustra et professée de nos jours par les parsis. ⇒ Manichéisme, mazdéisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.